[Chronique : "La France est-elle prête pour une révolution climatique ?" par Corinne Lepage, 16 juillet 2021] | Re Re Cap | Scoop.it
Il était nécessaire, après le vote de la loi climat qui procède non pas à un changement de degré mais à un changement de nature de l’obligation climatique européenne, de revisiter un certain nombre de textes communautaires. C’est ce qui a été fait avec la présentation par la Commission européenne de 12 directives destinées à réduire les émissions de carbone. Il ne s’agit à ce stade que de la présentation de directives nouvelles qui modifient les directives anciennes, les textes devant bien entendu être ensuite modifiés et approuvés par le Parlement européen et le Conseil. De plus, ce texte devra être suivi d’autres, en particulier sur la question de l’adaptation au dérèglement climatique ou encore celle d’une meilleure coïncidence entre politique climatique, politique de la biodiversité et santé environnementale.

Certes, les élus verts du Parlement européen ont critiqué une ambition insuffisante puisqu’ils réclamaient une réduction de 65 % et non de 55 %, des solutions prenant insuffisamment en compte la question sociale (intégration des émissions, les biocarburants, le chauffage des ménages dans le marché carbone) et surtout l’absence de remise en cause des accords de libre-échange et de la PAC telle qu’elle a été adoptée. Ces critiques sont légitimes.

Il n’en demeure pas moins que les propositions de la Commission sont déjà très ambitieuses est aujourd’hui inatteignables au plan national, ce qui explique que le gouvernement français ait fait partie des Etats qui ont pesé contre des mesures comme l’arrêt de la vente de véhicules thermiques en 2035.

Il ne s’agit pas ici de faire une revue exhaustive des 12 propositions de directives mais brièvement rappeler ce qu’elles contiennent et la capacité de la France en l’état actuel des choses à y répondre.

Ce pacte vert vise en neuf ans à réduire de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990, ce qui implique une baisse de près de 3 % par an des émissions cumulées des secteurs transport , bâtiment, déchets et agriculture alors que la baisse était de 0,4 % par an entre 2004 et 2019 (voir le document du réseau action climat).

Une remise à plat de la politique des quotas d’émission

Pour y parvenir, la commission propose une extension du système des quotas de carbone en donnant un prix à toute émission en l’étendant à l’aviation et à la navigation. La baisse des quotas d’émission devrait passer à 4,2 % par an au lieu de 2,2 % entraînant ainsi mécaniquement une remontée du prix de la tonne de CO2 qui a déjà augmenté de 60 % de de l’année. Pour l’aviation, ce sont les quotas gratuits qui devraient disparaître d’ici 2027 et qui devaient être appliqués au trafic maritime. Le kérosène devrait être taxé à partir de 2023.

Le débat risque d’être encore plus important en ce qui concerne la création d’un marché du carbone pour le transport routier et le chauffage des bâtiments. L’objectif est évidemment de valoriser la rénovation thermique des bâtiments et la baisse de la consommation sur l’essence et le gasoil. Le débat porte sur les conséquences sociales d’un tel marché qui pèserait bien entendu sur tous les ménages et en particulier les plus modestes. Pour répondre à cet objectif majeur qui touche non seulement à l’acceptabilité sociale de cette politique mais également à la capacité des ménages d’y faire face, la Commission propose la création d’un fonds de 145 milliards d’euros financés par les revenus de ce marché. Tout dépendra bien entendu du prix de la tonne de carbone lorsque cette réforme sera mise en œuvre mais le système de redistribution est évidemment indispensable.

La réforme envisage également la mise en place d’une taxe carbone frontière, ce qui fut réclamé depuis de longues années. Ce système serait mis en place à compter de 2026 et devrait présenter un triple avantage :

éviter les fuites de carbone liées aux délocalisations
générer des revenus
avoir une valeur d’exemple.

Sur cette politique de quotas demeure une inconnue majeure, celle de la suppression des permis alloués gratuitement. Ce système, en réalité totalement absurde, est à l’origine d’un prix très bas de la tonne de carbone et de l’inefficience du système pendant des décennies. Les grandes industries énergivores s’y opposent évidemment, cependant que les associations ont demandé la suppression du système à compter de 2023. Le sujet n’est pas tranché pourtant. Selon le WWF, entre 2013 et 2018, ces quotas gratuits ont représenté une perte de plus de 70 Mds pour l’Union européenne.

Enfin, le projet prévoit la fin de la vente de voitures et des véhicules utilitaires légers diesel essence en Europe à partir de 2035 alors que huit pays européens ont déjà pris l’engagement de le faire avant 2030. Le problème n’est pas seulement écologique, il est également industriel et c’est en réalité toute la refonte des infrastructures de l’industrie automobile qui est remise en cause. Il va de soi que ce sont ceux qui seront les premiers à être opérationnels qui seront les gagnants.

Le deuxième volet concerne les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique

On se souvient que le volet 3 × 20 figurait dans le premier plan de 2008, lequel prévoyait une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, une augmentation de 20 % de l’efficacité énergétique et de porter à 20 % la part des énergies renouvelables en 2020 .

S’agissant tout d’abord l’efficacité énergétique, force est de constater que la consommation d’énergie a en réalité très peu diminué au cours de la dernière décennie d’où la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments et une hausse des objectifs de la directive efficacité énergétique puisque l’objectif est relevé à une baisse de 38 % d’ici 2030, baisse qui concerne le secteur public comme le secteur privé. Cela devrait représenter une obligation de rénovation de 3 % des bâtiments parents dans le secteur public.

S’agissant des énergies renouvelables, leur part passe de 32 à 40 % dans le mix énergétique de 2030.

Les forêts et les sols

La question des puits de carbone est une question essentielle car les objectifs sont fixés en réduction nette c’est-à-dire déduction faite des tonnes de carbone stocké. D’où l’importance des puits de carbone naturel qui sont constitués essentiellement par les forêts mais également par les sols à la condition que de meilleures méthodes de culture soient mises en place, ce qui n’est pas le cas dans le cadre de la politique agricole commune. L’objectif qui n’apparaît pas contraignant est fixé à 310 millions de tonnes équivalent CO2 d’ici 2030, ce qui représente la plantation d’environ 3 milliards d’arbres.

Ces objectifs sont ambitieux et se heurtent déjà à une forte opposition des lobbys mais aussi de certains Etats dont le nôtre.

Il est bien clair qu’une série de propositions qui figurent dans ces textes sont incompatibles avec nos politiques et orientations actuelles. Sans revenir sur l’arrêt Grande-Synthe qui a caractérisé l’insuffisance des mesures actuellement envisagées, il suffit de regarder la loi climat et résilience pour constater qu’elle n’est pas compatible avec ces projets.

Notre trajectoire climatique est incompatible : nous sommes aujourd’hui dans le meilleur des cas à une trajectoire qui nous amènerait entre -35 – 38 % en 2030, donc très éloignés des -55 % voire même des -50 % après redistribution de l’effort collectif entre les états membres
Nos résultats en matière d’énergie renouvelable sont dérisoires. Parmi les plus mauvais élèves de l’Europe, nous avons été incapables d’atteindre notre objectif de 23 % en 2020, nous serons incapables d’atteindre celui de -30 % a fortiori davantage en 2030. Il faudrait abandonner le tout nucléaire, qui continue à absorber l’essentiel des moyens (plus d’un milliard versé par l’État à Orano pour payer une fois de plus la dette finlandaise), conduit à multiplier les difficultés pour installer les EnR et surtout les massifier.
S’agissant de l’efficacité énergétique, la faiblesse des investissements de la rénovation des bâtiments en particulier est une évidence dans la loi climat et résilience; elle ne nous permettra évidemment pas d’atteindre les objectifs prévus s’agissant des véhicules, la loi climat fixe un objectif à 2040 alors que l’objectif communautaire est de 35%.
Enfin, en ce qui concerne la forêt, le Haut conseil pour le climat se montre particulièrement sévère sur la manière dont les tonnes de carbone économisées ont été calculées, en considérant que la gestion actuelle de la forêt ne permettait en aucune manière d’atteindre les niveaux prétendus.

Autrement dit, ces propositions ne sont qu’une pierre supplémentaire dans le jardin du gouvernement pour reprendre complètement la loi climat ou plutôt en préparer une seconde, alors même qu’un sondage récent rappelait que 60 % des Français attendent cette réforme comme la première de toutes.