L'état de nos centrales le montre, le choix de l'énergie nucléaire est dans une impasse | Re Re Cap | Scoop.it

L'état de nos centrales le montre, le choix de l'énergie nucléaire est dans une impasse.

 

Toute l'infrastructure nucléaire et tous les projets sont mis en cause pour des raisons diverses...

 

La France a incontestablement été un des leaders mondiaux du nucléaire même si la dépendance des centrales PWR à Westinghouse n'a jamais été réellement soulignée. Mais elle ne l'est plus. On peut le regretter tant sur le plan Industriel que sur le plan technologique, mais c'est une réalité. Du reste, les déboires rencontrés sur la construction des EPR sont expliqués par Areva et la filière nucléaire par une perte de savoir-faire liée au départ à la retraite des concepteurs et constructeur des centrales nucléaires du programme Messmer. Mais, les difficultés technologiques et techniques auxquelles se heurtent EDF comme Areva ne se limitent pas à l'EPR et c'est en réalité toute l'infrastructure nucléaire et surtout tous les projets qui sont mis en cause pour des raisons diverses.

 

 

Tout d'abord, le choix de l'EPR se révèle être un fiasco industriel, économique et financier. Ce réacteur de troisième génération, conçu en réalité à la fin des années 80 et au tout début des années 90 (comme ministre de l'environnement 1995, j'ai eu à le connaître), s'est révélé beaucoup plus onéreux que prévu (de l'ordre de 10 milliards d'euros le réacteur en l'état actuel des choses), soumis à des difficultés techniques particulières liées à sa conception et par voie de conséquence impossible à exporter. On se souvient encore des envolées lyriques de Madame Lauvergeon qui évoquait la vente de 34 EPR avant 2020! En réalité, nous en avons vendu trois en 2007, Hinckley Point ne pouvant être considéré comme une exportation puisqu'EDF est l'exploitant d'Angleterre. Et surtout, le feu vert qui serait donné par l'autorité de sûreté nucléaire malgré les anomalies graves relevées dans la cuve et le couvercle de Flamanville n'a rien d'encourageant. Comme l'a souligné un des membres du comité d'experts chargés de rendre un avis, qui accepterait d'acheter une voiture dont les marges de sécurité seraient réduites de 50 % ? Ce feu vert donné du bout des lèvres, par l'autorité de sûreté nucléaire n'a été rendu possible que par un décret scélérat autorisant les dérogations à la réglementation directe nucléaire. Il va de soi que tous ceux qui ont participé à cette opération en porteront à titre personnel la responsabilité. Ce saut dans le vide s'explique par le château de cartes qui menaçait de s'écrouler en cas de refus de validation de la cuve et du couvercle de la part de l'autorité de sûreté nucléaire. Dans ce cas, la Commission Européenne refusait de valider la recapitalisation d'Aréva, Hinckley point ne se faisait pas, nos partenaires chinois étaient en droit de se retourner contre Areva et EDF ne pouvait pas faire face à ses obligations financières. Ce sont donc des raisons purement financières et non pas de sécurité qui sont à l'origine de ce feu vert ce qui bien évidemment en cas de problème conduira à rechercher la responsabilité des décideurs, quels qu'ils soient. Mais, quoi qu'en dise l'industrie du nucléaire, l'EPR n'a pas d'avenir compte tenu de son coût et de son incertitude technologique. Il faudra donc se tourner éventuellement vers d'autres types de réacteurs, ATMEA ou autre que la France ne fabrique pas aujourd'hui. L'EPR est donc une technologie en voie d'extinction...

 
 

Et, les soucis ne se limitent pas à l'EPR mais concernent les réacteurs en activité. Il faut rappeler qu'EDF considère comme acquise la prolongation à 50 ans de ses centrales nucléaires hormis Fessenheim. C'est aller bien vite en besogne et considérer de manière très méprisante l'autorité de sûreté nucléaire, assimilée à un organisme à la botte de l'exploitant. Les anomalies détectées sur la cuve de Flamanville ont conduit à découvrir de véritables malversations et des falsifications de documents au Creusot dans la réalisation d'autres cuves de réacteurs en activité. Et le repérage des mauvaises pratiques ayant continué, l'autorité de sûreté nucléaire a donné un délai au 31 octobre à EDF pour fournir le programme de revue de tous les composants fabriqués sur le site et un délai au 31 décembre 2018 pour avoir achevé les travaux correspondants, qui pourraient nécessiter des arrêts de tranche. Un premier document publié en septembre 2017 fait état de 471 irrégularités concernant les pièces de 12 des 18 centrales nucléaires françaises. Une paille ! La centrale de Belleville-sur-Loire a même été placée début septembre 2017 "sous surveillance renforcée", une première dans l'histoire nucléaire française qui résulte des "carences" constatées par l'autorité de sûreté nucléaire de la part de l'exploitant. Ces défauts viennent s'ajouter aux désordres constatés au début de l'année 2017 par l'IRSN sur le défaut de mesure sur le système d'injection d'eau de secours des 34 réacteurs de 900 MW. Non seulement c'est extrêmement grave car en cas d'accident, cette situation peut mettre en péril le refroidissement du réacteur mais, sur le plan procédural cela démontre l'absence totale de contrôle par EDF de ses systèmes alors qu'elle est la première responsable de la sûreté.

 

 

Et, la faiblesse des résultats d'EDF en 2016 et probablement 2017 viendra pour partie de la non disponibilité des réacteurs mis à l'arrêt pour des raisons de sûreté, entraînant des surcoûts dans les investissements et des non rentrées dues à l'absence de fonctionnement. Ainsi, les investissements nécessaires pour atteindre un niveau de sûreté suffisant risquent d'être élevés, voire très élevés avant même que l'autorité de sûreté nucléaire n'ait entamé la campagne d'audit préalable à une éventuelle prolongation de la durée de vie au-delà de 40 ans des réacteurs. Cette prolongation est donc très aléatoire, posant à EDF une équation insoluble sur le plan technique comme sur le plan financier. À ce tableau déjà bien noir s'ajoutent les conséquences d'un dérèglement climatique qui s'accélère. Plusieurs réacteurs nucléaires ont dû cet été être mis à l'arrêt en raison du réchauffement des cours d'eau rendant impossible une pollution thermique supplémentaire. Plus grave encore, les phénomènes extrêmes qui n'ont évidemment pas été pris en compte lors de la conception des réacteurs les mettent en péril dans les mêmes conditions que l'usine Arkema au Texas dont l'incendie à la suite du passage de l'ouragan Harvey a déjà donné lieu au dépôt d'une série de plaintes. Qu'en serait-il si c'est usine chimique que l'on a laissé brûler faute de pouvoir faire autrement avait été une centrale nucléaire ?

 

 

Les réacteurs ne sont pas seuls en cause. Le projet CIGEO d'enfouissement des déchets radioactifs à Bure, non seulement soulève des difficultés majeures en termes de financement (25 milliards selon le ministère de l'écologie 35 milliards selon l'ANDRA) mais également des difficultés techniques difficilement compréhensibles alors que le projet est à l'étude depuis plus de 20 ans. Ainsi, l'IRSN a relevé quatre points remettant en cause la conception du stockage et en particulier les conséquences d'un incendie dans une alvéole stockant des déchets bitumineux. Dans la foulée, l'autorité de sûreté nucléaire a également exprimé ses réserves sur un projet fortement contesté localement, qui ne semble manifestement pas pouvoir être engagé à court terme, voire à long terme.

Enfin, les projets d'avenir sont menacés. Il n'y en a pas pour le retraitement. EDF est contraint d'y recourir pour maintenir l'emploi à la Hague, moyennant un coût de près d'un milliard par an. Une reconversion de l'usine phare d'Aréva se posera inévitablement dans les années qui viennent. Astrid qui est un prototype de réacteurs de quatrième génération, qui réédite Superphénix (échec technique et fiasco financier à plus de 10 milliards) semble davantage regarder vers le passé que vers le futur qui pourrait bien être celui de réacteurs à thorium, si le nucléaire a un avenir. Ce réacteur qui dans le meilleur des cas pourrait connaître un avenir industriel dans les années 2050, coûterait 5 milliards, somme dont le ministère de l'écologie reconnaît lui-même qu'elle ne pourra peut-être pas être mobilisée. Quant à ITER, projet international qui vise à réaliser la fusion nucléaire, avec 10 ans de retard sur la production programmée du premier plasma (2025 au lieu de 2015) et un budget qui a explosé (20 milliards aujourd'hui), il continue à être très contesté sur le plan technique et très menacé sur le plan financier, le parlement européen étant de plus en plus réticent à accepter ce financement.

Au total, les choix technologiques que la filière nucléaire a faits ne sont manifestement pas optimaux (et c'est un euphémisme) et, mise dans l'impossibilité de sortir de ses choix, elle se trouve bien évidemment dans une impasse.

 

Corinne Lepage

Avocate, Ancienne députée européenne Cap21, ancienne ministre de l'Environnement