Présidentielle : les algorithmes des réseaux sociaux peuvent-ils favoriser certains candidats et orienter le vote ? | Campagnes en France | Scoop.it

Oui, répond le mathématicien David Chavalarias qui signe "Toxic data". Il décrypte dans ce livre le fonctionnement de ces plateformes et les dangers pour la démocratie.

Les Français sont de plus en plus nombreux à s'informer via les réseaux sociaux. La moitié des moins de 35 ans y recourent en premier lieu, s'affranchissant des médias traditionnels. Mais ces réseaux ne montrent pas forcément à tous ses utilisateurs la réalité du monde. Dans la passionnante enquête "Toxic data", David Chavalarias, mathématicien et directeur de recherche au CNRS, décortique comment les algorithmes de Facebook ou de Twitter privilégient tel ou tel post, influencent notre flux d’information et donc potentiellement aussi notre opinion d'électeur.

Rappelons tout d'abord que les algorithmes sont l’ensemble des règles qui régissent le comportement de ces plateformes. Autrement dit, il s'agit de la mécanique sous le capot de ces entreprises qui nous incite à rester le plus longtemps possible en ligne. David Chavalarias démontre, à partir de nombreuses études scientifiques, que ces algorithmes sélectionnent et affichent les contenus polémiques, radicaux ou négatifs.

Pourquoi ? Car ils émeuvent, captent l'attention et amènent les utilisateurs à interagir avec les plateformes, en likant, en commentant ou en partageant des publications comme sur Facebook. Car plus ces interactions sont fréquentes, plus les plateformes apprennent à nous connaître et peuvent in fine nous exposer à de la publicité ciblée.

La parole conservatrice plus largement diffusée

Un tel fonctionnement ne semble pas bien grave pour la démocratie quand il s'agit de nous proposer un restaurant ou une marque de vêtement. Mais il s'avère plus sensible lorsque les messages en question sont d'ordre politique. Une récente étude menée par Twitter révèle par exemple que les hommes politiques ne sont pas tous égaux face aux algos. Elle fait apparaître que dans plusieurs pays, les partis, discours et médias dits conservateurs sont plus largement diffusés que les autres sur ce réseau social.

En France, selon David Chavalarias, les comptes qui ont acquis le plus d’influence au cours des cinq dernières années se situent aux extrêmes avec deux communautés particulièrement représentées : celle autour d’Eric Zemmour (Reconquête) et de Florian Philippot (Les Patriotes). Ces sphères useraient selon le mathématicien d'une technique également documentée dans l'investigation de Paul Conge sur l'extrême-droite, "Les Grands remplacés" : l'astroturfing, soit une manière de tromper les algorithmes en appelant quelques centaines ou milliers de personnes à relayer le même message en même temps afin qu'il remonte dans les tendances. Le procédé valorise ainsi massivement un candidat ou ses idées auprès de tous les autres utilisateurs du réseau social impliqué. 

Ce biais des algorithmes peut être recouru par des partis, des sympathisants ou des puissances étrangères qui ont intérêt à orienter l’opinion ou à favoriser l’abstention. Car en agissant sur quelques pourcentages d’électeurs, il est aujourd’hui possible de faire basculer un scrutin.

Interrogé par franceinfo, Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique d’Eric Zemmour, nie pratiquer l’astroturfing et préfère parler de "communication" et de "mobilisation de militants". Le parti assure ne pas utiliser non plus de robots, de faux comptes ou de publicités Facebook considérés dans "Toxic Data" comme des matières dopantes pour maximiser la visibilité de posts politiques. 

Même réaction dans l'entourage de Florian Philippot. Pour Joffrey Bollée, responsable presse des Patriotes, "les tendances se créent toutes seules". La visibilité du parti s'expliquerait d'abord par "ses adhérents cyberactifs et de fait ça marche". Il reconnaît toutefois que "les réseaux sociaux ne sont pas une représentation fidèle de la réalité".

Des ONG appellent à plus de régulation

Pour tendre vers une représentation plus fidèle de la réalité justement, des ONG appellent à réécrire les algorithmes en refondant le modèle économique des plateformes. C’est le cas d’Amnesty International qui dit "dénoncer les théories du complot, contenus incendiaires, haineux, disciminatoires, misogynes et de mésinformation privilégiés par les réseaux". "Tout cela est désormais clairement corroboré, affirme Katia Roux, chargée de plaidoyer. Ces contenus ont des implications dans la vie réelle, il y a un besoin de régulation car les plateformes ont connaissance de ces dérives mais restent inactives."

Le patron de Reporters sans frontières alerte également. "Ceux qui créent les algorithmes ont le rôle qu'avaient autrefois les parlementaires quand ils adoptaient les règles sur la distribution de la presse, rappelle Christophe Deloire, secrétaire général de RSF et auteur de La Matrice. On ne peut pas déléguer à des entreprises privées qui ont des intérêts privés l'organisation de l'espace public. Il faut inventer de nouvelles obligations car le droit existant ne répond pas aux problèmes".

 

Cédric Cousseau - franceinfo
France Télévisions
Publié le 02/04/2022